GU WEN

GU WEN
GU WEN

Le gu wen est une écriture, un style (wen ) anciens (gu ), ou, plus exactement, pour désigner un mouvement et un genre littéraires qui nous intéressent ici, un style imité de l’antiquité: on peut alors traduire gu wen par «prose antique». Mais ce terme a encore un autre emploi. On a appelé gu wen de courts essais en prose, dont l’originalité est la concision du style et l’unité du sujet, et où domine le plus souvent l’expression d’une idée morale et philosophique, l’anecdote ne tenant lieu que d’exemple, d’illustration, de démonstration. C’est ce sens que l’on trouve dans un certain nombre de recueils qui, depuis le Xe siècle, ont servi de modèles pour l’apprentissage du style par les futurs lettrés.

Avant Han Yu

On applique pour la première fois l’expression gu wen (écriture ancienne) à des manuscrits des Classiques apparus sous les premiers Han, qui n’étaient compris que de certains érudits et étaient considérés comme des faux par les tenants du jin wen (écriture moderne). Cette dernière expression désignait les classiques reconstitués en langue non archaïque qui faisaient l’objet de l’enseignement officiel du Collège impérial. L’école du gu wen donnait un enseignement privé rival. Il y avait entre les deux tendances de sérieures divergences: le jin wen , qui restera longtemps le texte orthodoxe, utilise les wei shu et les théories du yin et du yang , alors que les lettrés du gu wen s’en tiennent à la philologie et rejettent toute «superstition».

Plusieurs de ces classiques sont d’ailleurs tenus pour apocryphes par les savants modernes, et plus particulièrement certains chapitres du Shu jing , suspects depuis des siècles, probablement fabriqués par l’auteur du Jia yu (Entretiens familiers de Confucius ), un des maîtres du gu wen au IIIe siècle après J.-C.

Entre le IIIe et le VIIe siècle, poètes et prosateurs abusent d’un style orné et rhétorique: le pian wen (attelage de deux chevaux en flèche) que l’on peut traduire par «prose parallèle» ou «antithétique», la phrase étant de quatre ou six mots disposés symétriquement. En réaction s’élabore le gu wen , style «à la manière antique».

Dès le VIe siècle, quelques mouvements précurseurs se dessinent. Par exemple, un Chinois du Nord au service d’un monarque tabghatch (toba) écrit une proclamation dans le style du Shu jing. Cette tentative surtout politique ne porte pas de fruit dans le domaine de la littérature. D’autres écrivains, dès le temps des Sui, avaient renoncé aux phrases savamment balancées du pian wen et essayé de restaurer le vieux style classique.

La nouvelle prose

Han Yu (768-824) est considéré comme le véritable créateur de la nouvelle prose, à tort intitulée gu wen. Ennemi déclaré aussi bien du taoïsme que du bouddhisme, il se crut la mission de reprendre la tradition confucéenne. Toutefois, il fit plus qu’un simple retour à l’antique: il vilipendait au contraire l’imitation servile du style archaïque et la répétition mécanique des phrases-clichés. Le style gu wen dégagé des règles qui entravaient le pian wen se prêtait mieux que celui-ci aux exposés logiques. Rompant délibérément avec la prose cadencée qui était à la mode depuis plusieurs siècles, il se caractérise par le choix très précis des termes et par l’emploi rigoureux des particules grammaticales. La syntaxe chinoise y gagne en précision, mais la langue, moins rythmée, se trouve alourdie.

Han Yu était trop passionné pour être un vrai philosophe confucianiste. Son titre de gloire est cette langue qu’il a sinon créée du moins portée à la perfection. Alors qu’il avait voulu en faire un instrument didactique, elle permit surtout, de son vivant, une reviviscence de la narration, du conte, auxquels ne se prêtait guère le style pian wen. Ainsi Liu Zongyuan (773-819), qui participa avec talent à cette élaboration de la prose gu wen , est l’auteur prestigieux de courts récits descriptifs.

L’évolution du gu wen des Song aux Qing

C’est seulement sous les Song (960-1279) que le gu wen portera tous ses fruits, quand naîtra un mouvement philosophique, différent en bien des points du mouvement similaire de Han Yu. Le pian wen n’est plus honni d’une façon absolue. Les grands maîtres du XIe siècle montrent un esprit de tolérance qui les fait appartenir tour à tour aux deux écoles, selon qu’ils écrivent un traité de philosophie ou un poème. Ouyang Xiu (1007-1072) est le chef de file de ce second mouvement gu wen. On dit qu’il a fondé, dans sa jeunesse, une société pour publier les œuvres de Han Yu, alors totalement oubliées, et qu’il venait de retrouver par hasard.

Cette «découverte» permit aux écrivains Song d’exceller à s’exprimer clairement, sans pour autant copier la langue qu’ils faisaient revivre. Le gu wen est illustré par Ouyang Xiu, tant dans ses essais que dans la Nouvelle Histoire des Tang – Xin Tang shu – et des Cinq Dynasties – Xin Wudai shi. Il eut des émules dont les plus célèbres furent Wang Anshi et Sima Guang.

Sous les Ming, au XVIe siècle, un auteur affirmait que le style antique avait été tué par Han Yu, un autre ne voulait rien lire de ce qui s’était écrit depuis la fin des Han: leur influence pétrifia bien des esprits. Certains écrivains, en revanche, restaient des admirateurs du gu wen des Tang. De cette rivalité, il ne naquit aucune œuvre réellement intéressante.

Sous les Qing (1644-1911), la «prose antique» est cultivée dans de véritables écoles qui revendiquent d’être la postérité du mouvement littéraire fondé par Han Yu. Ces écoles préconisent, en même temps que le style simple de l’antiquité, un retour au confucianisme.

Le gu wen apparaît ainsi à travers toute son histoire, de Han Yu au néo-confucianisme des Song, des Ming et des Qing, comme un moyen d’expression du confucianisme. Le mouvement et le genre gu wen peuvent donc être considérés comme une des manifestations d’un esprit conservateur, qui a été un des aspects de la culture chinoise. Cependant, le gu wen , malgré son caractère artificiel, car il est fort loin, pour ceux qui l’ont employé à partir des Tang, de la langue parlée de leur époque, a été utilisé par des conteurs pour de courtes nouvelles, des histoires étranges souvent puisées dans le folklore et écrites en langue littéraire. C’est ce que fera encore Pu Songling au XVIIe siècle. Style de la tradition et des lettrés, le gu wen a été utilisé aussi pour transmettre ce qu’il y avait de plus vivant, et parfois de plus anticonfucéen, dans l’imagination du peuple chinois.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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